20.01.2021| Lecture de 8 minutes

Un fleuve. Deux entrepreneures.

Un texte d’Amélie Leclerc, gestionnaire de marque, associée et de Guillaume Mathieu, stratège de marque, associé

Le fleuve Saint-Laurent est au cœur de nos vies. Berceau de notre histoire et de notre économie, ce joyau est malheureusement tenu pour acquis ou tombe simplement dans l’oubli dans nos vies quotidiennes. Certains le traversent quotidiennement, d’autres courent ses berges pour se ressourcer de temps à autre. Mais, pour plusieurs, le fleuve est également une source alimentaire, de travail et d’étude.

Pour deux de nos clientes-partenaires, le fleuve est source d’inspiration. Elles désirent, chacune à leur manière, nous le faire découvrir à travers des expériences uniques nous permettant de reconnecter avec notre territoire. Tout d’abord, Claire Bardin, cofondatrice de Boréalie (voir texte en page 9) puis Colombe Saint-Pierre, cheffe-propriétaire du réputé restaurant Chez Saint-Pierre au Bic (Rimouski), récipiendaire du prix de chef de l’année aux Lauriers de la Gastronomie en 2018 et cofondatrice du mouvement Goûter NOUS sur l’autonomie alimentaire du Québec.

C’est ainsi que par un froid dimanche de novembre, autour de l’îlot de la cuisine du restaurant Chez Saint-Pierre - fermé comme tous les autres en ces temps de pandémie -, nous avons réuni Claire et Colombe pour une discussion sur leur passion commune. Si nous pensions qu’elles allaient se limiter à jaser entrepreneuriat et fleuve en une heure, c’était bien mal les connaître. Envoûtés, nous avons été témoins de trois heures d’échanges passionnés. Plusieurs huîtres et quelques découvertes plus tard, c’est sous le charme de l’énergie contagieuse de ces deux entrepreneures que nous avons repris la route.

Résumé, en trois points, de cet échange.

Un territoire méconnu

Les deux passionnées s’entendent : notre fleuve, notre territoire, nous ne le connaissons pas. Nous pêchons et cueillons qu’une poignée des trésors qu’il renferme. Les mactres de Stimpson, les bourgots, les couteaux de mer et la barbue, ces produits sont sur les cartes des grandes tables depuis quelques années à peine. Mais combien de Québécois les connaissent ou y ont déjà goûté? Et si oui, savent-ils que ça provient d’ici? Même chose au niveau de ses berges? La laminaire sucrée, la laitue de mer et la salicorne. Combien en connaissent les vertus? Et ça, ce n’est que le fleuve. Nos forêts sont tout aussi riches.

Parlant de forêt, la discussion bifurque sur les propriétés des bourgeons de peuplier baumier. Et que dire de leur saveur unique. Colombe s’éclipse et revient avec un vinaigre qu’elle prépare à base de ces jeunes pousses. Quelques gouttes sur une huître. WOW! Magie. Elle nous explique aussi que plusieurs saveurs exotiques, qui rappellent l’ananas ou la pêche, existent sur notre territoire. Il ne suffit que de l’apprivoiser pour en découvrir tous les secrets.

« Il faut vivre sur le territoire pour le découvrir. Pour le connaître. Quand je suis arrivée de France, je ne comprenais pas que le fleuve ne soit pas plus célébré ici. C’était - et c’est toujours - un non-sens pour moi. », dit Claire. Ce à quoi Colombe lui répond : « On ne réalise pas la qualité de ce que nous avons. Nos produits sont nobles, grandement prisés à l’international. On les pêche et hop, on envoie cela ailleurs. En Asie, sur le marché de Boston. Comme si nous n’étions pas assez bons pour ces produits. Mais pourquoi? ».

« Je me réveille en crise, la nuit, pour penser à protéger nos ressources, notre territoire ».

- Colombe

« À cause des changements climatiques, on s’en va inévitablement dans le règne du froid. Les pays nordiques seront les prochains tropiques pour la production alimentaire. Notre territoire, on doit le protéger, le découvrir et apprendre à s’en inspirer davantage », dit Colombe. « Par exemple, pour tirer le maximum de saveur de certaines plantes, l’infusion lente à froid est préférable à l’infusion chaude à laquelle nous sommes habitués. Quand on y pense, c’est logique. Ici, il y a un hiver qui est long et froid. » Cela amène Claire à réfléchir au développement de cosmétiques issus de ces ingrédients. Infusion lente ne rime pas nécessairement avec production commerciale.

« J’ai des groupes commerciaux qui me contactent pour connaître mes sources d’approvisionnement afin de cultiver certains produits. [Soupir] Ils ne comprennent pas que ce sont des produits sauvages, ça ne se cultive pas de la salicorne! », affirme Colombe.

À ce moment, elle approche un grand bol d’eau froide dans lequel flottent de jolis morceaux qui rappellent de la dentelle. Colombe veut qu’on goûte. C’est du lichen qu’elle fait tremper depuis des jours afin d’en faire un sirop pour créer une glace que nous aurons la chance de déguster quelques minutes plus tard. Les étoiles d’incrédulité dans les yeux de Claire n’avaient pas de prix.

Défricheuses autodidactes

S’inspirer et travailler à partir de ces produits de la nature méconnue et aucunement documentée, ça vient avec son lot de défis. Claire et Colombe en savent quelque chose.

Dès que Colombe revient de prendre un appel d’un fournisseur (oui, même un dimanche midi) avec une bouteille de bulles à la main « qu’il faut absolument découvrir », Claire lui lance un « as-tu l’impression que tu es seule à te battre? » bien senti. Ce à quoi Colombe lui répond sans hésiter que oui, qu’elle travaille fort pour faire découvrir et rendre hommage à notre fleuve et notre territoire, mais que depuis quelque temps, elle sent que ça change, qu’elle se sent moins seule et qu’il y a plus d’intérêt. Et on sent que l’émotion emporte les deux entrepreneures.

« Nos produits fins du fleuve, de nos berges et de nos forêts ne sont pas documentés. La connaissance se passe d’une personne à l’autre, comme dans le temps. En connaissant son territoire, on sait quand aller cueillir ou récolter certaines ressources. Pour les conserver, il faut faire des tests, sans cesse, pour en profiter à l’année », nous dit Colombe. Et Claire qui découvre de nouveaux goûts et de nouvelles saveurs s’étonne de ce manque de documentation. Elle voit tout le potentiel cosmétique des produits que Colombe lui décrit et se demande comment elle fera pour convaincre les labos de travailler avec ces ressources.

« On peut apprendre en s’entourant. En lisant. Le chemin classique n’est pas toujours la seule voie. Cette rencontre d’aujourd’hui me fait réaliser encore plus à quel point le potentiel du fleuve et de ses berges est immense et tellement méconnu », nous partage Claire. « Je travaille avec un centre de recherche spécialisé en biotechnologie marine situé dans le Bas-Saint-Laurent pour les ingrédients actifs des produits Boréalie, et même eux ne peuvent pas me recenser tout ce que le fleuve cache comme secret. C’est fou quand même. Si eux ne peuvent le faire, qui pourra m’aider? »

« Effectivement, il doit aussi y avoir un changement de culture. L’engagement envers nos ressources et notre territoire est une manière de vivre. On n’a pas besoin d’être des rois ou des reines pour bien manger et bien prendre soin de soi, on doit juste faire des choix. Je ne suis pas riche, loin de là, mais j’ai choisi de manger ce que nous sommes, notre territoire. Ça doit venir de tous. Et transmettre ces valeurs à nos enfants », lui répond Colombe.

Passionnées, tout simplement

Pour défricher ainsi et éduquer tous les gens sur leur passage, Claire et Colombe sont inévitablement deux passionnées. Les deux entrepreneures ont des parcours si différents et en même temps si proches.

Colombe, début quarantaine, a croisé le chemin de la cuisine par hasard. Elle qui se destinait au journalisme opère son célèbre restaurant depuis maintenant 15 ans, mais est rentable uniquement depuis 3 ans.

Pas besoin de vous dire que la pandémie n’était pas la bienvenue! Sa profonde conviction de nous faire découvrir notre territoire à travers l’assiette est plus forte que tout. Elle nous a d’ailleurs appris qu’elle rouvrira son restaurant dès que les règles de santé publique le permettront. Un baume sachant qu’elle avait annoncé la probable fermeture définitive du mythique établissement en pleine première vague.

Claire, fin vingtaine, était jusqu’à tout récemment cadre dans le domaine de la santé à Montréal. Bonnes conditions, emploi stable et avenir prometteur. Mais qu’est-ce qui peut pousser une jeune professionnelle à se lancer dans l’entrepreneuriat des produits cosmétiques durables à part la passion? On vous le demande. Véritable ambassadrice du fleuve, son instinct et sa passion contagieuse contribuent assurément au succès de sa gamme Boréalie qui fait jaser tous les magazines mode-beauté et au-delà.

Les éclats de rire, les nombreux points en commun trouvés à force d’anecdotes en ces quelques heures de rencontre ont créé une nouvelle relation d’affaires qui est fort probablement le début d’une belle amitié.

Claire et Colombe, merci d’avoir croisé nos parcours.