29.05.2023| Lecture de 7 minutes

Le prix avant tout ! L’inflation influencera-t-elle les ambitions de la Politique bioalimentaire 2018-2025 du Québec ?

Guillaume 1Guillaume Mathieu, associé-cofondateur

Le vendredi 26 mai se tenait à Drummondville la 4e édition de la rencontre annuelle des partenaires de la Politique bioalimentaire du Québec. L’événement, organisé par le MAPAQ, a permis de partager l’état d’avancement des cibles et de communiquer le bilan annuel des actions posées. Une belle occasion pour les acteurs du réseau d’échanger sur les priorités à garder à l’œil pour la prochaine année.

La politique bioalimentaire a comme ambition de maintenir un haut niveau de confiance chez les consommateurs et de développer un secteur bioalimentaire prospère et durable. Pour y arriver, trois grands défis doivent être surmontés : répondre aux attentes des consommateurs en ce qui a trait à la santé et à l’environnement, accroître les activités des secteurs de la production, des pêches et de la transformation alimentaire au Québec et, finalement, augmenter la présence des produits bioalimentaires d’ici sur les marchés extérieurs. L’objectif ultime de cette politique ? L’atteinte d’une plus grande autonomie alimentaire.

Rencontre annuelle des partenaires de la Politique bioalimentaire du Québec au Centrexpo Cogeco de Drummondville

La journée, sous le thème de la jeunesse, de la relève et de l’innovation, a débuté avec la présentation des plus récents résultats quant aux actions posées qui sont, en majorité, bien au-delà des objectifs établis (le sommaire du bilan présenté est accessible sur le BioClips Actualité bioalimentaire publié par le Secrétariat de la Politique bioalimentaire). Plusieurs jeunes propriétaires d’entreprise de divers secteurs agroalimentaires ont pris parole pour aborder l’importance d’offrir un équilibre de vie à leurs employés, de l’impact environnemental de leurs activités et de la pérennité de leurs projets. L’achat local, l’innovation et les nouvelles technologies étaient également au rendez-vous.

Panel de discussion – Le bioalimentaire, une opportunité pour la jeunesse avec, de gauche à droite, Alison Van Rassel, animatrice, Alexandre Jacques, directeur en transformation des processus chez Agropur, Anne Maltais, chercheuse à Institut de technologie des emballages et du génie alimentaire et Simon Michaud, président et fondateur de Désherbex
Les consommateurs vite rattrapés par la conjoncture économique

Malgré les discours remplis d'espoir, la vertu a rapidement fait place à la réalité inflationniste lorsque l’équipe du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) a partagé les faits saillants 2023 du Baromètre de la confiance des consommateurs québécois à l’égard des aliments et que Francis Parisien, de NielsenIQ, a partagé quelques données marquantes sur les ventes de produits d’ici.

« C’est un marché qui est difficile. […] Les consommateurs demandent des bas prix et ne sont pas très fidèles. Ça ne sera pas facile dans les prochains mois. »
– Francis Parisien, vice-président pour l’est du Canada, NielsenIQ
Francis Parisien de NielsenIQ

Comme l’expliquait bien Marie-Ève Fournier dans un récent article publié dans La Presse, bien que nous ne soyons pas officiellement en récession, les consommateurs agissent comme si c’était le cas, surtout au rayon de l’alimentation. Selon le Baromètre de la confiance des consommateurs québécois à l’égard des aliments 2023, 91 % d’entre eux constatent une hausse du prix des aliments, et 8 Québécois sur 10 se disent préoccupés par le prix des de ces derniers.

Et on ne peut pas les blâmer ! Selon les données présentées par NielsenIQ, l’inflation sur les produits de consommation courante (PCC) se maintient à des niveaux record au pays et sévit dans toutes les catégories alimentaires, à quelques exceptions près. Certaines catégories comme la pâte à pizza, la margarine et même les épinards ont connu des hausses de prix moyennes de plus de 20 % sur une période de 52 semaines (NielsenIQ MarketTrack, 2023). Francis Parisien, vice-président pour l’est du Canada chez NielsenIQ, affirme ne pas avoir constaté de telles hausses depuis son arrivée en poste, il y a de cela 20 ans.

L’augmentation des prix génère pour les ménages une hausse des dépenses d’épicerie dans toutes les catégories. On constate cependant que cette hausse des dépenses est associée directement à une réduction du nombre d’unités achetées. Ainsi, 78 % des consommateurs auraient arrêté de se procurer certains produits pour se concentrer sur l’essentiel. Les fruits de mer frais, les fromages fins et même la bière se distinguent parmi les catégories présentant les déclins les plus marqués en termes d’unités achetées.

Parmi les autres changements de comportements que l’on observe chez les consommateurs, l’équipe du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations et Francis Parisien avancent des hypothèses similaires.

Tout d’abord, la fréquentation des restaurants semble plus faible qu’elle ne l’était avant que la pandémie ne frappe. D’ailleurs, 88 % des Québécois disent manger toujours ou souvent des plats cuisinés maison (Baromètre de la confiance des consommateurs québécois à l’égard des aliments, 2023).

Sans surprise, du côté de l’épicerie, les bannières à rabais gagnent en popularité, ayant aujourd’hui une part de marché de plus de 38 %, en hausse de 2,5 points de pourcentage par rapport à l’an dernier (NeilsenIQ,Consumer Outlook Survey, 2023). Bien que les produits québécois aient réalisé une percée appréciable dans cette catégorie de commerces d’alimentation, ils y demeurent moins présents que dans les bannières dites conventionnelles. Les produits en promotion sont très recherchés (64 % des Canadiens disent les rechercher plus ou beaucoup plus souvent qu’avant) et les marques privées sont plus populaires que jamais (67 % des Canadiens disent opter pour ces produits plus ou beaucoup plus souvent qu’avant). Il nous faudra donc nous poser les bonnes questions en tant que gestionnaires de marque agroalimentaire, dans ce contexte où seulement 4 % des Québécois croient que de payer un produit plus cher garantit une meilleure qualité (Baromètre de la confiance des consommateurs québécois à l’égard des aliments, 2023).

Les données montrent que les efforts fournis pour réduire le gaspillage alimentaire seraient également une source d’économie pour les consommateurs, expliquant potentiellement la diminution des unités achetées en épicerie. On peut aussi considérer la possibilité que les consommateurs, par souci d’économie, se tournent vers de nouvelles sources d’approvisionnement non comptabilisées dans les données par NielsenIQ, telles que les marchés publics ou les plateformes d’achat en ligne favorisant les circuits courts.

Une industrie qui devra faire front commun pour continuer à bâtir sur les acquis des dernières années

Avec toutes ces montées de prix et la pression qu’elles mettent sur les consommateurs, on sent d’importants changements de comportement chez ces derniers. Le prix des aliments devient la principale préoccupation des consommateurs canadiens et les perspectives d’avenir ne sont pas douces avec plus de la moitié des consommateurs qui estiment que la récession est appelée à durer plus de 12 mois (NielsenIQ, 2023). De plus, la confiance des consommateurs envers les entreprises a décliné depuis le sommet atteint en 2021 (Baromètre de la confiance des consommateurs québécois à l’égard des aliments, 2023). Aujourd’hui, la majorité (57 %) des Québécois considère que manger est avant tout une simple nécessité.

Dans ces circonstances, et bien qu’il demeure essentiel comme industrie de continuer à développer des produits innovants, respectant les plus hauts standards de qualité d’une économie durable, locale et forte… il faut aussi se demander si le consommateur est encore prêt à nous suivre. L’industrie devra se tenir et se serrer les coudes pour ne pas perdre les acquis réalisés au cours des dernières années dans notre quête d’une plus grande autonomie alimentaire telle qu'inspirée par la Politique bioalimentaire. De beaux défis certes... mais aussi probablement des opportunités insoupçonnées jusqu’à tout récemment pour les entreprises et marques agroalimentaires d’ici.

__

Le dévoilement des résultats de la 3e édition du Baromètre de la confiance des consommateurs québécois à l’égard des aliments par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) aura lieu le 8 juin prochain. Pour les inscriptions, c’est par ici: https://cirano.qc.ca/fr/evenements/1150