29.04.2022| Lecture de 9 minutes

L’avenir de l’épicerie Retour sur les conférences de l’événement Grocery and Specialty Food West

Un texte de Guillaume Mathieu, stratège de marque, associé, ILOT

À quoi ressemblera le rituel de l’épicerie - hebdomadaire pour certains, quotidien pour d’autres - dans 5, 10 et même 20 ans? Y aura-t-il encore des caissiers ou des emballeurs? Est-ce que tout se fera plutôt en ligne? C’est pour réfléchir à ce genre de questions liées à l’avenir de l’épicerie que des représentants de l’industrie, allant des épiciers indépendants en passant par les grandes bannières, les distributeurs et les marques de produits, se sont réunis à Vancouver plus tôt cette semaine dans le cadre du rendez-vous annuel Grocery and Specialty Food West. Plusieurs marques québécoises y étaient représentées dont Lassonde, Stefano, Bassé et Première Moisson.

Sans surprise, le numérique était au cœur des échanges. Et pas numérique uniquement dans le sens d’épicerie en ligne. Bien que cette nouvelle manière de remplir ses armoires et son réfrigérateur a fait plusieurs nouveaux adeptes durant la pandémie, 97 % des consommateurs fréquentent encore des magasins physiques et 87 % des achats d’épicerie sont encore complétés dans un lieu physique (EnsembleIQ). Les projections pour 2030 demeurent relativement identiques avec plus de 90 % des achats d’épicerie effectués dans un magasin physique (IGD).


Selon Instacart, l’épicerie en ligne, qui détenait moins de 5 % des parts de marché en 2019, aurait une pénétration d’un peu plus de 10 % aujourd’hui.


Une autre étude d’Acosta montre qu’environ 45 % des consommateurs achètent davantage d’épicerie en ligne comparativement à la période pré-pandémie.


Donc, bonne nouvelle pour ceux qui aiment encore tâter leurs tomates pour en valider la fraîcheur : 72 % des Canadiens disent préférer l’achat en personne en magasin. L’épicerie physique est là pour rester. Mais elle va évoluer.

Toute l’intelligence d’affaires générée grâce au commerce en ligne et toutes les opportunités que génère cette nouvelle manière de faire ne peuvent rester isolées derrière l’écran de notre ordinateur. Les épiciers ont tout avantage à appliquer certaines de ces leçons à l’expérience offerte en magasins physiques afin de répondre aux exigences toujours plus grandes des consommateurs : praticité, besoin d'information, transparence, etc. Le numérique - et tous les outils que les technologies connectées amènent - permettra à l’épicerie physique d’évoluer.

Une expérience « phygital »

Néologisme anglais formé des termes physique et digital (numérique), il réfère à l’intégration du numérique dans les environnements physiques. Cette transformation a déjà débuté. On n’a qu’à penser aux écrans présentant des publicités et autres contenus près des caisses ou aux étiquettes de prix électroniques sur les tablettes permettant d’ajuster les prix à distance en temps réel.

Maintenant, ce que nous verrons, c’est davantage de numérique pour contribuer à améliorer l’expérience des consommateurs en magasin.

Plusieurs consommateurs disent se déplacer en magasin pour voir et toucher les produits qu’ils achètent. Ils veulent en valider la fraîcheur. Les outils numériques, comme des écrans connectés, des codes QR et la réalité augmentée permettront de présenter une foule d’information sur les produits : provenance, date de récolte, type de production, temps de transport, etc. Cela ouvre une variété d’opportunité aux marketeurs afin de raconter différemment l’histoire des produits présentés.

Source : enplug.com.au

Les consommateurs cherchent aussi la nouveauté et l’inspiration en allant physiquement sur place. En ce sens, nous verrons davantage de théâtralité dans la mise en marché des produits justement pour inspirer les consommateurs. Plusieurs pensent même que le centre des épiceries, où l’on trouve aujourd’hui les allées de produits secs, évoluera pour laisser place à des espaces de découvertes en mode hybride numérique-physique (propositions de mix produits pour créer des repas, espace pour des ateliers découvertes, etc.). Les produits secs et d’hygiène pourraient se voir reléguer davantage au niveau du commerce en ligne, favorisant les produits frais en magasin. La théâtralité dans la mise en marché - des écrans proposant des contenus aux îlots thématiques - peut déjà être remarquée dans des épiceries visitées à Vancouver comme Whole Foods Market, Fresh St Market et Sungiven Foods.

L’exigence des consommateurs ne se limite pas à l’esthétisme des magasins. Le commerce en ligne nous a habitués à obtenir des sélections de produits personnalisés à nos goûts et nos habitudes d’achat. Les filtres (selon une diète ou des valeurs) applicables sur plusieurs sites d’épicerie en ligne pour faciliter la recherche pourraient éventuellement s’appliquer en magasin physique grâce à la réalité augmentée (par exemple, avec des lunettes VR). À plus court terme, les apprentissages sur les mix produits populaires en ligne pourraient servir les épiciers dans le regroupement des produits en magasin. On a tous déjà vu des bananes dans l’allée des céréales pour encourager l’achat croisé. Nous pourrions être surpris des combinaisons de produits que les consommateurs mettent dans leurs paniers virtuels et qui pourraient influencer les prochains îlots thématiques ou l’assortiment des bouts d’allées.

Source : ILOT

L’automatisation à la rescousse de la pénurie de ressources

La pandémie nous a démontré à quel point les nombreux postes dans une épicerie sont cruciaux. Ces joueurs de l’ombre qui ont été élevés au statut de héros en plein cœur de la crise COVID se font cependant de plus en plus rares. Et les projections semblent indiquer que le manque de ressources demeurera.

Plusieurs technologies numériques existent déjà dans d’autres marchés ou sont en test chez nous pour tenter de pallier cette nouvelle réalité. Plusieurs tâches en épicerie peuvent être robotisées afin de permettre au personnel de se concentrer sur ce qui ne se numérise pas complètement : le service à la clientèle, l’hospitalité et l’expertise. Des éléments qui font d’un épicier, un épicier!

Amazon teste l’épicerie avec le paiement sans contact dans sa succursale AmazonGo à Seattle depuis quelques années. D’autres bannières, dont Couche-Tard, font des essais chez nous. Plusieurs experts s’entendent sur le fait que le geste de passer à la caisse est probablement celui qui sera le plus radicalement modifié dans les prochaines années… sinon tout simplement aboli. Peu importe la méthode qui finira par être retenue par la majorité de l’industrie, il y a consensus sur le fait qu’une fois que nous aurons pris un produit sur une tablette, nous le ressortirons de notre panier qu’une fois rendu à la maison… sans passer par une caisse comme on la connaît aujourd’hui. Cela amènera différents changements dans les épiceries physiques : réaménagement de l’espace, nouveau format de chariot pour supporter des boîtes de transport qui pourront aller directement dans les véhicules, etc.

Le désir de personnalisation toujours plus grand amène une pression sur le personnel : pâtissiers, cuisiniers, etc. Et si des robots préparaient des gâteaux, des pizzas ou des produits de boulangerie personnalisés directement en magasin. En plus d’amener un effet spectacle, cela limite le nombre d’employés spécialisés en transférant la tâche dans les mains des consommateurs qui devient responsable de leurs commandes à même l’écran tactile dudit robot. La commande se prépare pendant que le reste des achats est effectué.

Source : wilkinsonbaking.com

La prise d’inventaire, le remplissage des tablettes, le lavage des planchers et toutes ces autres tâches d’entretien peuvent déjà être effectués par des robots. Ce n’est qu’une question de temps avant que nous les côtoyons régulièrement dans les allées.


Des livraisons toujours plus rapides

Les nouveaux joueurs dans l’épicerie en ligne (comme les producteurs de boîtes-repas) misent sur des délais de livraison de plus en plus rapides pour tenter de percer le marché. Après la livraison en 30 minutes annoncée par Marché Goodfood à Montréal, de nouvelles applications comme Tiggy se vantent de livrer en 15 minutes. Cela met une grande pression sur les épiciers.


Nous avons testé l’application Tiggy à Vancouver, et le résultat n’a pas été concluant. Après plus de 20 minutes d’attente, l’application nous indiquait toujours être à la recherche d’un livreur. La promesse d’une livraison d’épicerie en 15 minutes n’a donc pas été tenue.


Selon les différents conférenciers présents à l’événement, dont Ted Graham, le chef de l’innovation ouverte de General Motors et l’auteur de « The Uber of Everything », la livraison autonome est assurément une réponse à ces besoins grandissants. Selon M. Graham, la livraison de biens par des véhicules autonomes s’installera à grande échelle dans nos villes bien avant le transport de passagers sans chauffeur. Toyota met à l’essai un de ces concepts ces jours-ci à San Francisco, et GM planche sur divers prototypes.

Jumelés aux nouveaux robots spécialisés dans la gestion du « premier et du dernier mile » conçus par GM, BrightDrop, les achats pourraient se livrer du magasin jusqu’aux portes des consommateurs de manière autonome et ce, d’ici quelques années à peine.

Source : BrightDrop

Bien que Sobeys et Metro aient fait les manchettes dans les dernières semaines avec leurs nouveaux centres de distribution pour les commandes en ligne, plusieurs experts conférenciers à l’événement prévoyaient que l’avenir de l’épicerie en ligne passerait par le réseau de petits entrepôts que sont les épiceries physiques et traditionnelles. Dès que la technologie le permettra, les drones livreurs (comme ceux annoncés par Amazon et Walmart) pourront partir des toits des épiceries de quartier pour livrer chez les consommateurs. Selon les experts entendus, les épiceries reverront leur gestion de l’espace pour accommoder ces nouveaux engins volants et permettre aux robots autonomes d’assembler les commandes et les expédier. Ce qui peut sembler de la science-fiction est plutôt l’avenir à moyen terme selon les présentateurs.

Le numérique qui nous entoure et facilite différents aspects de nos vies, transformera à son tour l’épicerie physique comme on la connaît. En complément à l’épicerie en ligne qui poursuit sa croissance, l’offre combinée continuera de se définir pour offrir le meilleur des mondes aux consommateurs, aux épiciers... et aux marques.