12.06.2020| Lecture de 9 minutes

Confinement et appel à l’achat local : impacts pour les marques agroalimentaires

Guillaume 1Guillaume Mathieu, associé-cofondateur

Un texte initialement publié dans le journal “On jase autour d’un ILOT / juin 2020"

14 mars, 8 h 10. Stationnement d’un supermarché de la banlieue de Montréal. La file d’attente semble interminable. 15, 25, 50 personnes? Ça vire de bord à l’entrée du stationnement. Le scénario est similaire un peu partout en province. Ça fait quelques jours que les médias font leurs choux gras de la pénurie de papier hygiénique et de gel désinfectant. Une bonne proportion des consommateurs a interprété cela comme un signal d’alarme et s’est ruée vers les épiceries et magasins à grande surface pour faire des provisions. Et ce n’est pas qu’une impression, le phénomène a même été documenté. Selon une analyse de Mintel, c’est 27 % des consommateurs qui ont fait des achats en mode « panique » en Amérique du Nord1.

27% des consommateurs ont fait des achats en mode « panique ».
— Mintel

Quelques jours plus tard, le 22 mars précisément, le gouvernement annonce la fermeture des salles à manger des restaurants. Si l’on considère que l’on dépensait en moyenne 38 % de notre budget alimentaire en restauration avant la crise2 en plus du fait que nous étions tous confinés à la maison (dès le 23 mars) à manger trois repas par jour - ou plus selon comment on gère notre anxiété - (sans compter les nombreuses collations des enfants - mais ça mange tout le temps ces petites bêtes-là!!!) et le désir (ou la nécessité) pratiquement généralisé de se remettre à cuisiner, il n’est pas surprenant de constater que les épiceries ont connu, dans la première semaine de la crise une augmentation de leurs ventes de 40 % par rapport à la même période l’an dernier4, 6. Les trois semaines suivantes ont vu les ventes se maintenir à 19 % au-dessus de la même période l’an dernier5. Et les semaines subséquentes affichent toujours des hausses de 12 %6.

« Il y a une augmentation notable du désir de faire de la bouffe et du cocooning. On a assisté à un déplacement des dépenses du resto vers l’épicerie. »
Jean-François Belleau, directeur des relations gouvernementales et publiques du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD)3

Comment les consommateurs réagiront dans les prochains mois? Cette question, on se la pose avec nos partenaires et collaborateurs pratiquement chaque jour depuis des mois afin de tenter de saisir les meilleures opportunités marketing.

Un sondage d’Angus Reid publié il y a quelques semaines indique que 62 % des Canadiens souhaitent cuisiner davantage une fois la pandémie terminée7. Cuisiner davantage, ça implique moins de dépenses au restaurant, moins de plats préparés, plus d’achats d’ingrédients de base, des menus différents (on ne cuisine pas à la maison ce que l’on commande au restaurant), etc. Bien qu’il y a fort à parier que ce 62% ne sera pas atteint, nous croyons effectivement qu’il y aura un certain changement de comportement. Pour certains secteurs, ce changement se fait déjà sentir. Mais quelle ampleur cela prendra-t-il? Quels secteurs devront se réinventer?

Dans un récent billet d’opinion publié dans LaPresse+, Sylvain Charlebois, directeur scientifique du laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, présentait différents changements de comportement amenés par la situation actuelle8. D’abord, les achats impulsifs sont minimisés, car les achats sont effectués de manière plus rationnelle (insécurité face à l’avenir financier oblige), ce qui génère une diminution du gaspillage (qui représentait en moyenne 38 % des achats d’épicerie) entre autres, car les gens deviennent de meilleurs gestionnaires de frigo. Les données disponibles de Walmart confirment certains de ces changements. Moins de visites, plus d’achats. Effectivement le géant américain (qui a fait couler beaucoup d’encre en demeurant ouvert pendant que ses voisins locaux devaient fermer) a remarqué une baisse des visites en magasin (- 13,8% du nombre de transactions) pendant que la valeur du panier moyen augmentait de 25,8 %9.

Les ventes en ligne ont également explosé, tant du côté des bannières traditionnelles que des nouveaux joueurs comme Marché Goodfood10 ou Fermes Lufa11. La plupart des sites, même si opérationnels bien avant la pandémie, ont connu des ratés dans les premières semaines de la crise : enjeux de systèmes, pénuries de produits, délais de livraison exorbitants, etc.12 Cela n’a pas empêché plusieurs milliers de consommateurs de goûter aux bons côtés de se faire livrer son épicerie ou des plats cuisinés (praticité, planification, etc.). Il est important de rappeler qu’avant la crise, la part de marché de l’épicerie en ligne était tout juste sous les 2 % au pays, sans forte croissance depuis quelques années13 et avec de graves problèmes de fidélité du côté des repas prêts à cuisiner10. La popularité de ce type d’approvisionnement sera assurément augmentée considérablement et de manière permanente une fois la crise derrière nous. Cela générera de nouvelles opportunités marketing pour plusieurs marques encore trop peu présentes sur ces plateformes. Il y a aussi les distributeurs qui se concentraient sur les ventes B2B jusqu’à tout récemment qui ont ouvert leur offre aux consommateurs via des plateformes de vente en ligne comme Hector Larrivée14 et Norref, une division de Colabor15. Et même des manufacturiers qui ont développé le commerce en ligne directement avec les consommateurs, sans passer par les distributeurs. Près de nous, Club kombucha et Fromagerie Au Gré des Champs ont mis en place ce genre de système (bravo les filles!). Du côté américain, Frito-Lay a mis en place snack.com pour vendre directement aux consommateurs. Hâte de suivre l’évolution de ces nouveaux systèmes et la réceptivité des acheteurs et des distributeurs. De nouvelles opportunités à ne pas négliger certes… et à réfléchir minutieusement pour la suite.

Et tout ça, c’est sans compter le mouvement d’achat local. L’appel lancé par le premier ministre Legault et l’annonce de la création du Panier Bleu le 5 avril dernier semblent avoir fait leur chemin auprès des consommateurs (les cotes d’écoute qui ont dépassé par moments les 2,7 millions de téléspectateurs ne sont assurément pas étrangères à cet engouement). De plus, les principales bannières, peu importe que leur siège social soit basé au Québec, en Ontario ou même aux États-Unis ont emboîté le pas et multiplié les programmes : Produits d’ici, Un pour tous, tous +1, Produits du Québec, maxici, etc. En ce sens, nous avons eu beaucoup d’échanges avec plusieurs de nos partenaires témoignant d’une ouverture nouvelle de la part des principales bannières d’alimentation basées hors Québec qui, soudainement, désirent prioriser les produits locaux dans leurs commerces en sol québécois, ou du moins leur offrir une meilleure visibilité. Hypocrisie, opportunisme ou réel changement de philosophie, ça reste à prouver.

Et pas besoin de regarder les détaillants à propriété étrangère, la SAQ, qui a toujours été chiche sur la mise en marché des vins locaux, a vu les ventes des vins du Québec bondir de 60 % durant la crise16. Du jamais vu. Et ce n’est pas parce que les Québécois ont consommé davantage d’alcool en confinement, car les ventes totales n’auraient pas augmenté significativement selon la SAQ16.

+ 60% de vente de vins québécois en SAQ depuis le début de la pandémie10

Est-ce que ces changements de comportement demeureront dans le temps? Comment les entreprises s’adaptent à ces bouleversements? Comment leur stratégie de marque (en développement ou déjà en marché) les a aidés dans leur réflexion? C’est ce que nous avons demandé à deux de nos clients-partenaires en agroalimentaire, Enrico et Sébastien. À lire dessous. Intéressé à connaître le point de vue de ses entrepreneurs? Contactez-nous pour une copie du journal “On jase autour d’un ILOT / juin 2020”.


  1. Mintel. (2020, 7 mai). Marketplace Moves: A global CPG retail COVID-19 update. Mintel. Récupéré de https://www.mintel.com/blog/retail-market-news/marketplace-moves-a-global-cpg-retail-covid-19-update
  2. Sylvain Charlebois. (2020, 26 avril). La revanche des fourneaux. La Presse. Récupéré de https://plus.lapresse.ca/screens/006b1987-c40a-4a29-9122-935b26a6f356__7C___0.html?utm_medium=Ulink&utm_campaign=Internal+Share&utm_content=Screen
  3. Nathaëlle Morissette. (2020, 12 mai). Plus de farine et de désinfectant dans le panier d’épicerie. La Presse. Récupéré de https://plus.lapresse.ca/screens/ed52b0c1-aefa-4231-81bf-24933dd466fd__7C___0.html?utm_medium=ulink&utm_campaign=internal+share&utm_content=screen
  4. Statistique Canada. (2020, 11 mai). Les consommateurs canadiens s’adaptent à la COVID-19 : un aperçu des ventes d’épicerie canadiennes jusqu’au 11 avril. Statistique Canada. Récupéré de https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/62f0014m/62f0014m2020005-fra.pdf?st=mgug6kMe
  5. Stéphanie Marin. (2020, 11 mai). Les paniers d’épicerie continuent d’être bien remplis. La Presse. Récupéré de https://www.lapresse.ca/affaires/economie/202005/11/01-5273077-les-paniers-depicerie-continuent-detre-bien-remplis.php
  6. Francis Parisien (2020, 4 juin). 5e analyse hebdomadaire des effets de la Covid-19 - Survol des effets de la pandémie sur notre industrie. Nielsen
  7. Sylvain Charlebois. (2020, 22 avril). La fin du 38%. Le Droit. Récupéré de https://www.ledroit.com/opinions/la-fin-du-38--fa0d001b6164393ec95fa4c791955e9a
  8. Sylvain Charlebois. (2020, 10 mai). Des économies malgré la hausse des prix. La Presse. Récupéré de https://plus.lapresse.ca/screens/9934881c-19e0-48a1-b02a-45a09ae50330__7C___0.html?utm_medium=ulink&utm_campaign=internal+share&utm_content=screen
  9. Marie-Ève Fournier. (2020, 19 mai). La transaction moyenne bondit de 26 % chez Walmart Canada. La Presse. Récupéré de https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/202005/19/01-5274122-la-transaction-moyenne-bondit-de-26-chez-walmart-canada.php
  10. Julien Arsenault. (2020, 8 avril). La pandémie stimule l’appétit pour les plats prêts à cuisiner. Le Soleil. Récupéré de https://www.lesoleil.com/le-mag/alimentation/la-pandemie-stimule-lappetit-pour-les-plats-prets-a-cuisiner-f641c005711f04686c5e6d2928136a98
  11. Geneviève Lajoie. (2020, 21 mars). COVID-19: Un engouement pour les paniers de produits locaux livrés à domicile. Journal de Québec. Récupéré de https://www.journaldequebec.com/2020/03/21/covid-19-un-engouement-pour-les-paniers-de-produits-locaux-livres-a-domicile
  12. Marie-Ève Fournier. (2020, 26 mars). Épicerie en ligne: les systèmes n’étaient pas prêts. La Presse. Récupéré de https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/202003/25/01-5266483-epicerie-en-ligne-les-systemes-netaient-pas-prets.php
  13. Tara Deschamps. (2019, 17 décembre). Online grocery shopping could soon explode in Canada. Macleans. Récupéré de https://www.macleans.ca/economy/online-grocery-shopping-could-soon-explode-in-canada/
  14. Catherine Carron. (2020, 7 avril). Un grossiste mise sur la livraison d'épicerie à domicile. Les affaires. Récupéré de https://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/commerce-de-detail/un-grossiste-mise-sur-la-livraison-d-epicerie-a-domicile/616963
  15. Site transactionnel de Norref https://norref.myshopify.com/
  16. Sébastien Tanguay. (2020, 30 avril). La vente de vins québécois a bondi de 60 % depuis le début de la pandémie. Radio-Canada. Récupéré de https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1698965/vins-quebec-vente-saq-covid