01.10.2020| Lecture de 8 minutes

Achat local : impact de la pandémie sur la culture culinaire québécoise

309231970 492159579588320 4621453946422933632 nEdith Ouellet, Dt.P., nutritionniste et communicatrice

Un repas de notre resto de quartier favori livré à la maison pour la deuxième fois cette semaine. Un déjeuner festif mettant en vedette le premier pain maison miraculeusement cuisiné grâce au dernier petit pot de levure déniché tout au fond de la tablette du supermarché. Un air ébahi sur le visage de nos enfants devant les plants de tomates qui pointent finalement le bout de leur nez après de longs jours d’attente, un premier jardin familial sur le point de prendre forme. Des habitudes hier perçues comme des idéaux difficiles à atteindre se sont vite immiscées dans plusieurs foyers québécois depuis le printemps 2020. La crise sanitaire a entraîné bien des gens sur la voie rapide vers de nouvelles prises de conscience alimentaires et culinaires. Se pourrait-il que ce nouveau chemin emprunté nous mène un peu plus près de l’autonomie alimentaire?

Une discussion sur l’achat local et la culture culinaire des Québécois en temps de pandémie semblait donc s’imposer d’elle-même à l’occasion de l’édition 2020 du SIAL. Le contexte était idéal le 30 septembre dernier pour rassembler quatre experts et passionnés à une même tablée. Guillaume Mathieu, associé chez ILOT, s’est entretenu avec Geneviève Vézina-Montplaisir, corédactrice en chef du magazine Caribou, JoAnne Labrecque, professeure au HEC et Mireille Thibodeau, vice-présidente des achats et mise en marché des produits périssables chez Sobeys. Voici les faits saillants de cette savoureuse discussion.

Les aliments locaux au centre de notre table

Pour nos experts, aucun doute, le Québec a bel et bien une riche culture culinaire. Une culture diversifiée à notre image, mais aussi dynamique, gourmande et en phase avec notre environnement et nos saisons. Pour Geneviève, notre identité culinaire va bien au-delà de notre poutine nationale ou du pâté chinois familial : notre culture culinaire est influencée par nos saisons et met en scène une gastronomie inventive libérée des diktats de la cuisine française. Au Québec, où le plaisir à table se fait bien sentir, impossible de ne pas célébrer l’arrivée des premiers aliments frais de la nouvelle saison des récoltes. Au printemps, le homard et les asperges sont en valeur au coeur d’un repas cuisiné avec fierté, le torse légèrement bombé. « Des asperges, il ne s’en fait pas de meilleur qu’au Québec! »

Les Québécois appréciaient déjà les produits locaux bien avant la crise et leur reconnaissent une qualité difficile à égaler par leurs équivalents importés. À choisir, l’aliment local prendra aisément la place de l’aliment biologique dans le panier du consommateur. Selon JoAnne, les habitudes alimentaires se voyaient déjà redéfinies par une nouvelle génération de consommateurs accordant plus d’importance à l’alimentation locale et à l’environnement bien avant la pandémie. Cette dernière semble toutefois avoir placé l’achat local dans le panier des priorités d’une proportion grandissante de consommateurs. D’après Mireille, du point de vue des choix alimentaires, l’appel à l’achat local du gouvernement Legault semble bel et bien avoir été entendu. Elle a pu observer ces effets au sein de ses magasins où elle a constaté une nette augmentation de la demande de produits locaux. Le même constat a d'ailleurs pu être fait sur diverses plateformes d’achat en ligne.

Au moment où l’économie nationale bat de l’aile et où chaque commerce indépendant voit son avenir toujours plus incertain à chaque point de presse, le consommateur tend à comprendre davantage l’impact de chaque achat réalisé chez un marchand indépendant. Cet achat aura non seulement un impact positif sur le marchand encouragé, mais également sur l’économie globale de la province. Aussi, selon JoAnne, avec le lot de défis que les frontières fermées ont apporté en approvisionnement, les structures fragiles de production au Québec et leurs implications ont amené l’autonomie alimentaire sur toutes les lèvres. Un sujet qui jusque-là semblait pourtant n’intéresser que les fanatiques d’alimentation locale.

Le coût et l’accessibilité des aliments locaux : deux obstacles persistants

Jamais autant que dans les derniers mois je n’aurai entendu parler de vin québécois, d’argousier, de camerises, de poivre des dunes, de flétan et de bien d’autres produits jusque-là considérés comme des produits de niche et réservés au milieu de la restauration. Toutefois, deux défis majeurs demeurent afin que ces produits puissent définitivement s’installer dans nos foyers : leur coût et leur accessibilité.

Comment rendre l’achat d’aliments locaux accessible à tous, dans un contexte pandémique, où la part du budget associé à la nourriture des Québécois est déjà préoccupante? Le coût des aliments locaux est un obstacle majeur pour beaucoup, même pour des consommateurs et institutions déjà sensibilisés. Au dire de JoAnne, les aliments biologiques ont vu leur écart de prix s'abaisser après qu’une plus grande proportion de consommateurs les aient adoptés. Les aliments locaux devront donc possiblement bénéficier d’une campagne de popularité similaire afin de rejoindre davantage les habitudes d’achat des consommateurs et donc possiblement, de voir leur prix devenir plus abordable et accessible. D’après JoAnne, c’est un maigre 5% plus cher que les consommateurs sont prêts à débourser pour accepter de placer un équivalent local dans leur panier. Il reste donc un bon bout de chemin à parcourir afin de rendre cet écart de prix plus acceptable que ce soit en abaissant l’écart de prix, ou en améliorant la valeur attribuée aux produits locaux par les consommateurs.

Aux yeux de Geneviève, les Ricardo de ce monde ont un grand rôle à jouer afin de faire connaître nos produits locaux et de les démystifier aux yeux du public. Aucun doute pour Mireille : ces coups de pouce médiatiques semés comme des graines contribueraient grandement au positionnement des aliments locaux sur nos marchés. Elle voit d’ailleurs les étalages de ses succursales se vider au rythme des saveurs proposées à la dernière émission de cuisine de l’heure. Ultimement, c’est ce même engouement pour le prochain produit local de l’heure qui risque de convaincre un producteur de plus de se lancer dans la production d’argousier jusque-là méconnu ou encore d'un pêcheur de réserver ses stocks de flétan pour la consommation locale. Un pas bien franc vers l’avant, sur notre p’tit bout de chemin vers l’autonomie alimentaire.

Une culture culinaire en évolution

Malgré tout, Guillaume se questionne : se poserait-on vraiment les mêmes questions concernant l’autonomie alimentaire et l’achat local si la crise sanitaire n’avait jamais eu lieu? Selon Geneviève, la politique bioalimentaire lancée en 2018 avait déjà bien lancé le bal, mais la pandémie aura sans aucun doute servi d’accélérateur à ces réflexions sur l’autonomie alimentaire. Est-ce que toutes ces nouvelles habitudes alimentaires développées par les consommateurs seront durables? Sans doute que non.

De toute évidence, faire pousser ses tomates et se lancer en quête de levure alimentaire pour la réalisation du pain hebdomadaire familial aura permis aux Québécois de réaliser tout le travail derrière les produits locaux et la valeur que l’on devrait y accorder. Non seulement nous serons amenés à accorder plus de valeurs aux aliments locaux, mais aussi à prendre conscience de l’humain derrière chaque aliment ou produit et de la charge de travail pesant sur leurs épaules. Il est clair pour JoAnne que notre relation à l’alimentation est en train de changer et que cet impact du manger local devrait se faire sentir bien après la crise.

Toujours selon JoAnne, la pandémie nous aura menés à faire une seconde prise de conscience collective, soit celle de l’importance de la santé. Cette valorisation de la santé et tout ce temps soudainement libéré auront vite contribué à nous ramener devant nos fourneaux. Ces moments à cuisiner des plats maisons savoureux nous auront bien forcément rappelé que cuisiner peut être sain à bien des niveaux. Aux yeux de Geneviève, bien que ce retour aux sources ait quelque peu été forcé, l’éducation collective semble quant à elle s’être faite naturellement. Selon Geneviève, prendre conscience de la provenance de nos aliments nous aura apporté la curiosité d’apprendre à les transformer et à les cuisiner. Rien ne vaut la sauce tomate maison précieusement mise en conserve à partir des tomates du jardin! Est-ce que ces apprentissages seront suffisants pour nous propulser collectivement un peu plus certainement vers notre autonomie alimentaire?

Bien que pour nos trois invités, une complète autonomie alimentaire ne semble pas possible dans un avenir perceptible, que ce soit à cause de notre climat, de la gestion de l’offre ou des ententes internationales, cette crise aura permis de reconnecter les gens aux produits et aux producteurs. Les acquis réalisés durant la pandémie devront bien évidemment prendre racine petit à petit et l’éducation collective sera notre grand défi afin de cheminer vers notre autonomie alimentaire. L’alimentation locale fera bel et bien encore partie de notre culture culinaire une fois tout ce chamboulement derrière nous. Permettez-moi toutefois d’espérer que l’on ne se contente plus de « manger local » comme en temps de pré-COVID. Osons penser que notre table à tous sera garnie des délicieux fromages produits par Michel de la ville voisine, du pain confectionné par notre amie, des raisins de notre fermier de famille ou encore du confit d’oignon précieusement mis en conserve lors de la saison précédente. Comme le dirait si bien Christian Bégin : nous devons collectivement apprendre à « goûter NOUS ! » et à construire notre culture culinaire sur des saveurs bien à nous. Peut-être qu’au fond on se rendra compte que l’autonomie alimentaire était juste au coin de la rue.

L’intégral de la discussion en vidéo est disponible sur demande. Faites-nous signe!